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que les représentations collectives en général, et celles des sociétés inférieures en particulier, obéissent aux lois de la psychologie fondée sur l’analyse du sujet individuel. Les représentations collectives ont leurs lois propres, qui ne peuvent se découvrir — surtout s’il s’agit de primitifs[1] — par l’étude de l’individu « blanc, adulte et civilisé ». Au contraire, c’est sans doute l’étude des représentations collectives et de leurs liaisons dans les sociétés inférieures qui pourra jeter quelque lumière sur la genèse de nos catégories et de nos principes logiques.

(F. M., pages 1-2.)

Pourquoi les représentations primitives nous paraissent vagues.

D’un certain point de vue, les primitifs sont métaphysiciens. Ils le sont même avec plus de spontanéité et de constance que la plupart d’entre nous. Mais il ne suit pas de là qu’ils le soient comme nous.

Dans nos rapports avec les diverses forces physiques qui agissent sur nous, et dont nous nous sentons dépendre, nous avons l’habitude invétérée de nous reposer, avant tout, sur la connaissance la plus étendue et la plus exacte possible des lois de la nature. « Savoir pour prévoir afin de pouvoir » : nous nous réglons sur cette maxime, sans même y penser, tant nous sommes dressés par notre éducation à mettre notre confiance en la science, et à profiter en toute sécurité des avantages que ses applications nous procurent.

Les habitudes, et par suite l’attitude mentale des primitifs, sont différentes. Rien ne les avertit de l’intérêt qu’ils auraient à essayer de connaître les lois des phénomènes naturels : l’idée même leur en manque. Ce qui s’empare d’abord de leur attention, ce qui l’occupe à peu près exclusivement, dès que quelque chose l’a éveillée, et la retient, c’est la présence et l’action des puissances invisibles, des influences plus ou moins définies qu’ils sentent s’exercer autour d’eux, et sur eux.

  1. Par ce terme, impropre, mais d’un usage presque indispensable, nous entendons simplement désigner les membres des sociétés les plus simples que nous connaissions.