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de ceux que nous appelons inanimés. Partout on a besoin de les sentir « bien disposés » ; autrement on se croirait en imminence de malheur. Il dit avec raison que ces représentations fondamentales sont communes aux tribus du plus bas degré de l’échelle, et à celles qui ont subi plus ou moins profondément l’influence des Malais ou des Chinois. Mais lorsqu’il leur prête à tous l’idée de « démons et d’esprits qui pensent et sentent comme des êtres humains », cette interprétation animiste de leurs représentations, justifiée dans certains cas par le langage des indigènes eux-mêmes (en admettant qu’ils ne s’expriment pas par complaisance en termes empruntés), ne convient plus en d’autres, où les dispositions des êtres et des objets ne leur apparaissent pas sous cet aspect exclusivement psychique.

(S. N., pages 80-81.)

Les représentations collectives.

Les représentations appelées collectives, à ne les définir qu’en gros et sans approfondir, peuvent se reconnaître aux signes suivants : elles sont communes aux membres d’un groupe social donné ; elles s’y transmettent de génération en génération ; elles s’y imposent aux individus et elles éveillent chez eux, selon les cas, des sentiments de respect, de crainte, d’adoration, etc., pour leurs objets. Elles ne dépendent pas de l’individu pour exister. Non qu’elles impliquent un sujet collectif distinct des individus qui composent le groupe social, mais parce qu’elles se présentent avec des caractères dont on ne peut rendre raison par la seule considération des individus comme tels. C’est ainsi qu’une langue, bien qu’elle n’existe, à proprement parler, que dans l’esprit des individus qui la parlent, n’en est pas moins une réalité sociale indubitable, fondée sur un ensemble de représentations collectives. Car elle s’impose à chacun de ces individus, elle lui préexiste et elle lui survit.

De là sort aussitôt une conséquence fort importante sur laquelle les sociologues ont insisté avec raison, et qui avait échappé aux anthropologistes. Pour comprendre le mécanisme des institutions (surtout dans les sociétés inférieures), il faut d’abord se défaire du préjugé qui consiste à croire