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sentation, ni cette analogie généralisée ne sont le produit naturellement primitif de cette mentalité.

(F. M., pages 106-107.)

Tout en observant, parfois avec une sagacité surprenante, les mœurs, par exemple, des animaux dont ils se nourrissent, et qu’il faut donc savoir dépister et capturer, ils se préoccuperont surtout de leurs dispositions, et des moyens de se les rendre favorables. De même, à l’égard des espèces végétales, et d’une façon générale, de tous les êtres ou objets de la nature, dont les dispositions peuvent avoir une influence sur leur sort.

La tentation est grande, d’exprimer ces tendances et ces habitudes des primitifs en termes animistes. Ce langage est si commode ! Ils l’adoptent eux-mêmes si volontiers, dès qu’ils sont entrés en contact avec des religions où des esprits, des démons, des divinités, plus ou moins nettement individualisés, sont l’objet d’un culte ! Ils trouvent là des cadres tout faits, où leurs représentations, généralement floues et indistinctes, s’insèrent sans difficulté. Mais en se coulant ainsi dans une forme nettement définie qui leur était étrangère, elles risquent de se dénaturer. À travers la plupart des témoignages dont nous disposons, cette déformation apparaît. Un explorateur de Bornéo, par exemple, écrivait récemment : « Les indigènes de Bornéo ont, en gros, les mêmes représentations fondamentales, malgré toutes les différences de tribu et de race qui les séparent. Selon eux, la nature entière, hommes, bêtes, végétaux, les feuilles sèches sur le sol, l’air, le feu et l’eau, tout est animé, tout peut éprouver plaisir et peine.

« L’indigène de Bornéo évite avec soin, avec un sentiment de délicatesse, d’irriter les âmes des choses. Si la faim le force à mettre la main sur les êtres qui l’entourent, il cherche à les apaiser par des sacrifices… »

Dans ce passage, dont on trouverait l’analogue chez beaucoup d’autres observateurs des sociétés dites primitives, on peut, sans trop de peine, séparer le fait, qui est exact, du schème animiste où l’auteur le fait entrer. Il a constaté, dans toutes les tribus qu’il a visitées, le souci de se concilier la faveur des êtres et des objets à qui l’on a affaire, même