l’organisme. Suffisamment forte, la dose aura toujours raison de celui qui l’avale, qu’il soit coupable ou innocent ; insignifiante, elle ne fera aucun mal au pire scélérat. Le blanc trouve extraordinaire que l’indigène ferme les yeux à des truismes si simples.
Mais le point de vue d’où les noirs jugent est tout différent. L’idée de ce que nous appelons poison n’est pas nettement définie dans leur esprit. Sans doute ils savent par expérience que certaines décoctions peuvent tuer qui les boit. Néanmoins, ils ignorent le mécanisme de l’empoisonnement, et ils ne cherchent pas à le connaître ; ils ne soupçonnent même pas qu’il existe. Selon eux, si ces décoctions peuvent être mortelles, c’est parce qu’elles sont le véhicule de forces mystiques, comme les remèdes qu’ils emploient dans les maladies, et dont toute l’efficacité s’explique ainsi. « Leurs drogues produisent leurs effets, écrit M. Nassau, non pas comme les nôtres, par certaines propriétés chimiques, mais par la présence d’un esprit dont elles sont le véhicule favori. » Et miss Kingsley dit de son côté : « Dans toute action qui s’exerce, un esprit agit sur un esprit : donc l’esprit du remède agit sur l’esprit de la maladie. » Il en est précisément de même du poison d’épreuve. Les noirs n’en conçoivent pas les propriétés positives ils ne pensent qu’à sa vertu mystique et immédiate. « Ils ne le considèrent pas comme un poison, dit fort bien Winterbottom, parce qu’ils ne pensent pas qu’il serait mortel si la personne qui le boit était innocente[1]. » C’est une sorte de réactif mystique et, comme tel, infaillible.
Divination par ordalie.
Jusqu’ici, l’ordalie semble être un procédé magique, destiné à faire apparaître, sans doute possible, si un accusé est innocent ou coupable. L’usage, constant dans certaines sociétés, qui en est fait ainsi, a frappé l’imagination de la plupart des observateurs. C’est lui qu’ils mentionnent presque exclusivement, non sans exprimer en même temps leur sur-
- ↑ Th. Winterbottom, An account of the native Africans in the neighbourhood of Sierra-Leone, I, p. 270.