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pas aux intérêts généraux de l’Allemagne, qui n’existent même pas pour lui. Tous ses efforts portent sur des questions actuelles qui touchent les intérêts et les passions de son entourage. Par exemple, Leibniz et Thomasius pendant tous deux à une réforme du droit : mais, tandis que Leibniz s’élève aussitôt à l’idée d’une législation unique pour l’Allemagne, conception alors chimérique et irréalisable, Thomasius s’attache à réformer la procédure criminelle et l’enseignement du droit dans les universités. De même, Leibniz poursuit un idéal de paix religieuse : il veut réunir les catholiques et les protestants, les luthériens et les calvinistes ; il veut même concilier la raison et la foi, et prouver qu’au point de vue de l’absolu elles ne font qu’un. Thomasius n’a point de si hautes ambitions. Il s’attache à délimiter le domaine du droit canon et celui du droit civil, le domaine de la science sacrée et celui de la science humaine, afin que chacune jouisse dans ses limites d’une entière indépendance. Il faut en finir avec la confusion de la théologie et de la philosophie : c’est la seule idée nette de la doctrine de Thomasius. Pour réaliser ses vastes projets, Leibniz s’adresse aux puissances, qui ne l’écoutent guère. Il voudrait, avec la protection des princes, former une aristocratie de sociétés savantes et d’érudits. Thomasius ne leur demande que la liberté. « C’est la liberté seule, écrit-il, qui a produit tant d’hommes distingués en Hollande, en Angleterre et en France, avant la persécution des réformés[1]. » Enfin Leibniz est de tempéra-

  1. Biedermann, II, 1, p. 380-390.