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avec la France, Ryswick après Nimègue, Utrecht après Ryswick. La cession de Strasbourg lui arrache an cri de douleur[1]. Il ne peut en prendre son parti, tant pour la ville elle-même, qui lui paraît un des joyaux de l’Allemagne, que pour le cercle de Souabe, qui se trouve désormais exposé à toutes les attaques. Il craint aussi pour Cologne le sort de Strasbourg, et ce qui redouble son anxiété, c’est que presque personne ne partage ses soucis et ses chagrins. « La patrie commune est dans un tel état qu’il ne faut plus prétendre des avantages : il s’agit maintenant de se sauver avec elle. Les lettres qui viennent de Suabe (sic) peuvent faire pitié et couler les larmes des yeux les plus indifférents. Si on ne fait pas de grands efforts, la chute et le déchet de notre nation sera irréparable pour longtemps[2]. » Mais qui donc songeait à la « patrie commune » ? Leibniz a beau prêcher l’union. Il prêche dans le désert. L’égoïsme le plus étroit l’emporte même sur l’intérêt bien entendu. Le patriotisme a disparu. « Je trouve, écrit Leibniz, que trop de gens ne sont que trop de l’opinion de M. Thomasius, qui soutient dans ses notes sur Monzambano que ce qu’on dit des devoirs que la patrie exige ne sont que des chimères inventées par les payens. Voilà des doctrines fort à la mode[3]. » Leibniz disait au contraire, dans son Exhortation aux Allemands, un de ses meilleurs écrits politiques : « Il est certain qu’après l’amour de Dieu, ce qui tient le plus à cœur à un

  1. V. Johannes Huber : Das Verhältniss der deutschen Philosophie zur nationalen Erhebung (Berlin, 1871), p.8.
  2. Klopp, VI, 339.
  3. Klopp, VI, 115.