pensée d’intérêt public ou privé. Longtemps auparavant, Herder avait dit déjà que la philosophie est l’occupation nationale des Allemands. Mais ce désintéressement n’expose-t-il pas l’Allemagne à être humiliée, pillée, exploitée par des voisins moins nobles et plus habiles ? — Si fait, répond Herder, mais qu’importe ? N’est-ce pas une destinée sublime que d’être pour les autres plutôt que pour soi-même ? Sic vos non vobis peut être notre devise avec un sens admirablement profond. Apprenons, travaillons, semons en paix : la moisson ne peut manquer de venir. La nation allemande a mieux à faire que d’acquérir puissance et richesses par les moyens brutaux de la force et de la ruse. Qu’il lui suffise d’être l’éducatrice du monde et comme la philosophie vivante de l’univers.
Dans ce rêve à la fois patriotique et humanitaire germait une idée qui devait être reprise par les premiers combattants de la guerre contre Napoléon, et trouver dans notre siècle une fortune singulière. Chaque peuple, de par son tempérament et son caractère national, a une mission particulière à remplir dans l’histoire. De là une conséquence évidente. Les peuples dont la mission est accomplie doivent laisser la place, sur la scène du monde, à d’autres dont le tour est venu ; mais une nation qui a encore sa destinée à remplir ne saurait disparaître. Or l’Allemagne, selon Herder et ses contemporains, a encore une mission importante dans l’avenir. Si l’Allemagne était perdue sans retour, le progrès de la civilisation s’arrêterait, et cela est impossible. « Nous sommes arrivés tard, écrit Herder, eh bien ! nous en sommes d’autant plus