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lui reproche guère que l’expulsion des protestants et l’incendie du Palatinat. Avant Joseph II, Frédéric II avait donc compris que son métier était d’être royaliste, et que les souverains de l’Europe sont solidaires les uns des autres. Il a pressenti le danger dont la philosophie politique du siècle menaçait les gouvernements établis ; enfin, il a indiqué par avance tout ce que les apologistes de la Sainte-Alliance développeront sur « la licence et les excès de la presse ». La légende veut que Frédéric se soit montré indulgent pour les écarts des publicistes ; on sait aujourd’hui qu’il faut en rabattre. « Je ne protège, écrivait-il à la duchesse de Gotha, que les libres penseurs dont les manières sont convenables et les idées raisonnables. » Quoi d’étonnant alors s’il a traité Rousseau d’énergumène[1] ? Ni les manières ni les idées du citoyen de Genève n’étaient pour plaire à un prince clairvoyant, et bien résolu à ne pas laisser ébranler les fondements mêmes de l’autorité royale et de la société civile.

Frédéric II reconnaît sans difficulté que l’autorité royale n’est pas de droit divin. Elle est d’origine humaine, selon lui, et repose sur un contrat formel. C’était la théorie de Wolff, de qui Frédéric II a bien pu la tenir, car il l’exposait déjà dans ses Considérations sur l’état présent du corps politique de l’Europe (1738). « Voici, dit Frédéric, l’erreur de la plupart des princes. Ils croient que Dieu a créé exprès et par une attention toute particulière pour leur grandeur, leur félicité et leur orgueil, cette multitude

  1. Discours sur l’utilité des sciences et des arts dans un État, 1772. Œuvres, t. IX. Rousseau n’est pas nommé, mais c’est bien de lui qu’il s’agit.