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L’INITIATIVE

les Opérants[1] sont douleur. Les souffrances signifient : les Souillures, parce que les Souillures sont germes de douleur. Le fou qui prend toujours l’Initiative dans le Sens de soi-même n’atteint pas le bonheur ; c’est le malheur qu’il atteint. Mais le Bodhisattva, qui prend l’Initiative dans le Sens d’autrui, accomplit totalement le Sens de soi et d’autrui et arrive au bonheur de la Béatitude. Et c’est là encore une autre excellence de son Initiative.

  1. Saṃskâra. Il n’y a pas, dans toute la terminologie bouddhique, de mot qui ait été plus souvent discuté que celui-ci. Ce n’est pas ici le lieu de reprendre et de critiquer les innombrables interprétations. La plupart ont eu le tort de perdre de vue la valeur grammaticale et la fonction usuelle de ce mot. La formation saṃskâra implique une valeur active. D'autre part le verbe saṃskar et ses dérivés s’appliquent toujours à une modification de nature, et cette modification peut être encore mieux précisée. Dans la langue religieuse, où se sont élaborés les concepts que la philosophie devait reprendre ensuite, le saṃskâra est exactement « le sacrement ». L’explication de Böhtlingk et Roth, qui n’a pas chance d’être tendancieuse, porte : « opération d’espèce domestique et religieuse, que tous les membres des trois castes supérieures ont à accomplir, qui les met en état et les rend purs ». Les Upaniṣads anciennes, voisines du Bouddhisme ancien, ne connaissent pas d’autre sens. Les autres valeurs du mot, dans l’usage courant, sont étroitement apparentées à ce sens. Il suffit de rappeler le nom même du sanscrit, saṃskṛtâ bhâṣâ, la langue « sacrée » par excellence, réservée en principe aux usages religieux et aux personnages divins ; dans ce cas encore il s’agit d’une vertu nouvelle qui a été introduite (guṇântarâdhâna, comme Caraka définit le mot saṃskâra), et qui modifie foncièrement l’essence. Le saṃskâra est donc en général l’opération de l’agent mystérieux, invisible et tout-puissant, qui change le profane en sacré. Transportée du monde religieux au monde psychique ou métaphysique, la notion de saṃskâra s’est appliquée tout naturellement au groupe de facteurs analogue (mais non identique) à ce que nous appelons « l’hérédité ». Mais il ne faut pas oublier que, pour l’Hindou, l’individu est l’héritier de son propre passé, de ses existences antérieures. Le saṃskâra est donc l’énergie qui approprie à la conscience les données étrangères ; il figure avec raison dans la chaîne de causalité (pratîtya-samutpâda) au second rang entre l’avidyâ « le hors-science » l’inconscient, et le vijñâna « la connaissance distributive, la sensation », étant entendu que l’esprit (manas) compte parmi les organes des sens. Cette énergie d’appropriation de l’inconscient à la conscience, continuellement réalisée, constitue les saṃskâra, l’ensemble des prédispositions qui passent d’une naissance à l’autre. Le karman, « l’acte » par excellence, est la réaction des saṃskâra ; il leur est équivalent, mais il ne leur est pas identique ; ce sont des forces de même provenance, de même quantité, mais pour ainsi dire de signe contraire. La traduction tibétaine ’du byed est toute littérale ; ’du = sam ; byed = kar. Mais la traduction chinoise est tout à fait expressive : hing « passer, en marche » suggère bien le transport de force qui est l’essence même du saṃskâra, passant de l’inconscient au conscient, et d’une vie à la vie suivante.