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INTRODUCTION

dans une réelle unité : tandis que le Petit Véhicule ne vise à faire que des saints « arhats », impatients de franchir l’océan tumultueux des transmigrations pour s’évanouir à jamais dans l’impersonnalité transcendante du Nirvana, le Grand Véhicule prétend à préparer une infinité de Bouddhas qui ne se contenteront pas de jeter l’ancre paresseusement dans le port du salut, mais qui s’élanceront hardiment de là au secours des misérables égarés ou ballottés dans les tempêtes du monde. Les deux tendances avaient dû s’affirmer de bonne heure dans l’Église. Açoka déclare (8° édit) qu’il est parti pour la « saṃbodhi » ; le canon pâli, qui appartient rigoureusement au Petit Véhicule, a conservé des expressions telles que « sambodhi-pârâyaṇa », appliquées au saint, et la subtilité des interprétations proposées par l’orthodoxie ancienne ou moderne est le meilleur aveu de la difficulté^^1. Toutes les traditions rapportent unanimement au concile de Pâtaliputra, sous le règne d’Açoka et dans sa capitale, des discussions sur la nature et les attributs du saint, sur l’Arhat et le Bodhisattva. La séparation définitive des deux Véhicules s’accomplit dans la période féconde que le nom du souverain indo-scythe Kaniska symbolise, dans les environs de l’ère chrétienne : Acvaghosa, qui passe pour un conseiller de ce prince, trace à la nouvelle doctrine son programme essentiel dans le Mahâyâna-çraddhotpâda castra ; Nâgârjuna crée et organise la doctrine Mâdhyamaka. En fait, la naissance du Grand Véhicule marque une étape nécessaire du Bouddhisme. Le Bouddha avait institué, au milieu d’une Inde monastique et théologique, une nouvelle communauté de moines, à l’écart du siècle et sévèrement en garde contre lui ; l’idéal de la vie sainte, c’était la lutte interne, l’apaisement et la mort des passions ; le couvent n’était guère que l’ermitage brahmanique, désormais ouvert à toutes les bonnes volontés. Mais l’Inde au temps du Christ n’était plus l’Inde du Bouddha ; trois siècles de contact avec la pensée grecque, le mouvement des étrangers, l’essor du commerce, le progrès des arts et des sciences suscitaient des exigences nouvelles. L’Église a beau affirmer son dédain du monde ; elle vit avec lui, elle le reflète, elle s’en inspire, elle s’y accommode en dépit d’elle ou à son insu par une élaboration constante. La discipline du Vinaya

1. V. p. ex. Rhys Davids. Dialogues of the Buddha, p. 190 sqq.