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dition contre le Kalinga, au sud du Bengale, le long du golfe entre le Mahanadi et la Godavari. Le Kalinga était un état puissant ; d’après Mégasthène, il disposait de 60 000 fantassins, de 1 000 cavaliers, de 700 éléphants de guerre. C’était aussi le pays des marins aventureux ; leur nom, sous la forme de Kling, est encore en usage dans toute l’Insulinde pour désigner les Indiens de toute origine. La campagne semble avoir été furieuse, nous savons par le vainqueur lui-même que 150 000 personnes furent emmenées en captivité, 100 000 hommes furent tués ; la famine, la peste, déchaînées à la suite de la guerre, firent encore plus de victimes. Ces effroyables misères, qui sont le prix ordinaire des grandes victoires, provoquèrent chez Açoka une crise de conscience qui le transforma. Un sentiment, trop souvent étranger aux auteurs responsables de ces catastrophes, l’envahit, il connut le remords. Il ne se contenta pas de s’avouer à lui-même sa faute, il voulut la proclamer, l’étaler, non pas par ostentation suspecte de vertu, mais pour propager les hautes leçons d’humanité que sa faute lui avait apprises. Ce monarque au pouvoir absolu, dont l’empire s’étendant des frontières de la Perse aux bouches du Gange, du Cachemire jusqu’au Mysore, qui traitait d’égal à égal avec les Séleucides et les Ptolémées, transfigura le type banal du manieur d’hommes couronné. L’âme douce et tendre de l’Inde passa tout entière en lui, elle en fit plus qu’un roi, plus qu’un homme, un héros, un symbole, un exemple. L’ingéniosité de l’imitation (philotechnia) que Néarque avait signalée comme un des traits frappants de l’Hindou, s’élève avec Açoka jusqu’au sublime. Darius, fils d’Hystaspe, avait daigné s’adresser à ses