Page:Lévi - L’Inde civilisatrice, 1938.djvu/45

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jeunesse venait de tout le pays aryen se former aux arts libéraux. Les Grecs qui avaient vu s’étaler tant de fois la pompe et le luxe asiatiques, n’en furent pas moins éblouis par le cortège du roi Taxile. Ils furent plus surpris encore, eux qui connaissaient Diogène, de rencontrer sur les places de la ville les Sages Nus (Gymnosophistes) qui enseignaient devant ces conquistadores venus de si loin pour l’amour du butin, le sublime bonheur de l’inertie et de l’indifférence transcendantes. La rencontre pourtant se fit sans choc ; même des amitiés se nouèrent. Un des sages, que les soldats avaient baptisés du nom familier de « Père Bonjour » Calanos (en langue indienne kallāṇa, sanscrit kalyāṇa, formule ordinaire de salutation) s’attacha à l’expédition, l’accompagna en dehors de l’Inde, et, fatigué, vieilli, monta volontairement sur le bûcher à Suse, en présence de l’armée rangée en ordre solennel pour assister à ce spectacle inouï.

Je ne me laisserai pas aller à la tentation de suivre dans le détail un sujet trop attrayant. Les campagnes d’Alexandre sont l’unique période de l’Inde ancienne où nous tenons une série de faits continus, notés avec précision, établis sur un ensemble de témoignages, choisis par des intelligences d’élite ouvertes à tous les problèmes de la connaissance, de la pensée et de l’action. Ce lumineux génie de la Grèce, introduit pour un instant — qu’est-ce que deux années dans le total de trois millénaires ? — dans le chaos de l’Inde antique, en dégage un kosmos, un monde organisé, mieux encore, harmonieux. L’image de l’Inde du Nord-Ouest, entrevue dans cette fulguration d’éclair, montre en gros les mêmes lignes que la tradition bouddhique et jaina sug-