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marché que se disputent le commerce hellénique, le commerce arabe, le commerce persan, le commerce européen. Mère de la sagesse, elle donne ses fables à ses voisins qui vont les enseigner au monde entier. Mère de la foi et de la philosophie, elle donne aux trois quarts de l’Asie un dieu, une religion, une doctrine, un art. Elle porte sa langue sacrée, sa littérature, ses institutions dans l’Insulinde jusqu’aux limites du monde connu, et de là rebondit vers Madagascar, peut-être à la côte d’Afrique où l’afflux présent des émigrants hindous semble suivre les traces obscurcies du passé.

Les problèmes de l’Inde ne sont pas uniquement des problèmes d’érudition, d’histoire ancienne, ce sont aussi des problèmes vivants, et même, à dire vrai, gros d’inquiétudes. L’Inde ne se satisfait plus d’être unie dans le sein du brahmanisme ; entraînée dans le tourbillon de la vie mondiale, elle a appris d’autres aspirations. Elle réclame l’unité politique, l’unité nationale. Sans doute, les coryphées du mouvement ne sont qu’une petite phalange, mais les grandes transformations ont toujours été l’œuvre d’une minorité active, qui devance à temps les aspirations latentes du pays, et qui les oblige, sous peine de désaveu, à se réaliser. Toutefois, dans le cas de l’Inde, les inconnues sont angoissantes. Arrachée brusquement à sa torpeur végétative, la masse, amorphe et chaotique, est la plus ignorante qui soit au monde. Sur ces trois cents millions passés d’êtres humains, on n’en compte pas cinq pour cent qui sachent lire ou écrire. Le parti-pris ou l’imprudence de leurs maîtres, tant indigènes qu’étrangers, n’a rien fait pour les préparer à une ascension graduelle vers les devoirs et