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jours bornée à un horizon restreint. Mais dans la perspective vertigineuse ouverte sur l’infini par la doctrine des transmigrations, les plans se brouillent et s’effondrent, les individualités se dissolvent et s’évaporent. Sur ce théâtre d’ombres qui s’appelle l’univers, les personnages de féerie sortis du cerveau des poètes ou des conteurs sont les seules réalités ; les plus grandes figures de l’histoire positive s’effacent devant ces symboles où la collectivité met en commun ses joies, ses douleurs, ses espérances, ses rêves. Personne ne doute de Rāma, qui a régné dix mille ans, mais le nom d’Alexandre ne se rencontre pas une fois dans la littérature. La fiction qui par ailleurs se mêle à l’histoire règne ici en maîtresse exclusive. Et pour donner à ce monde imaginaire le cadre qui lui convient, l’Inde s’est créé une géographie de fantaisie docilement acceptée de siècle en siècle, sans souci des démentis que lui inflige le progrès des voyages.

Le labeur obstiné d’une poignée d’érudits occidentaux a commencé depuis un siècle à secouer ces chimères ; ils se sont appliqués à réunir les témoignages du dehors sur ce pays qui s’ignorait ; ils ont interrogé les textes grecs, latins, chinois, arabes ; ils ont déchiffré sur le roc et sur le métal les inscriptions tracées par les hommes d’autrefois. Et de cette patiente enquête sort déjà l’image d’une Inde que sa littérature et son art semblaient cacher à dessein. Une lueur fugitive point entre 1500 et 1000, la clarté commence à paraître vers l’an 500 avant le Christ. Et sur un espace de deux mille cinq cents ans, nous suivons les destinées de l’Inde qui sont grandes et belles. Mère des joyaux, de l’or, des étoffes et des denrées précieuses, elle est le