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vivante protestation contre la démence des ambitions terrestres, témoignage vivant de la sérénité accessible à l’homme ; en eux s’incarnent et s’équilibrent les aspects contradictoires de l’idéal indien : l’absolu détachement et la pitié active. Au fond de toutes les croyances où l’Inde a reconnu son génie résonne le même mot : Illusion. Et voici encore un paradoxe de ce singulier pays. L’Hindou qui vit sous la lumière la plus nette et la plus vive admet difficilement la réalité des formes qui l’entourent, les données internes, au contraire, celles de la conscience, de l’intuition, de l’extase s’imposent à lui comme l’évidence. La métaphysique, toujours cultivée avec passion, a produit dans l’Inde de magnifiques systèmes ; les sciences naturelles n’y ont pas droit de cité. Sans doute les besoins immédiats de la vie journalière y ont développé la médecine, et aussi l’astronomie, auxiliaire indispensable du culte pour le calendrier et la fixation du temps. Mais on peut se demander si les astronomes y ont jamais observé par leurs propres yeux, tant leur science est en général théorique et machinale. Et quelle qu’ait pu être l’habileté professionnelle des médecins hindous, leur doctrine anatomique prouve qu’ils n’ont pas scruté l’intérieur du corps humain. Le monde extérieur n’est que duperie (māyā), c’est un mirage comme croit en voir la gazelle qui a soif (mṛgatṛṣṇā). Et c’est parmi ces apparences décevantes que l’homme est appelé à vivre, à mourir, pour renaître et mourir encore, naître et mourir sans fin. On imagine la lassitude désespérée qui s’empare des esprits, et avec quels élans de reconnaissance on salue le Sauveur qui tend la main aux créatures perdues sur l’Océan des transmigrations pour les conduire à « l’autre