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hante l’esprit humain. On ne prête, dit-on, qu’aux riches ; l’Inde, par la fécondité luxuriante de sa faune, de sa flore et de son imagination, n’a eu que trop de droits à un crédit illimité. Elle n’en a pas moins des droits sérieux à l’attention des esprits solides.

Tout d’abord, c’est une des masses humaines les plus compactes du globe. Seule, la Chine peut rivaliser avec l’Inde. Sur la foi des recensements modèles publiés par l’administration anglo-indienne, il est permis d’affirmer que la population de l’Inde dépasse trois cents millions. Cette immense multitude forme une unité réelle, et pourtant difficile à définir. L’Inde est un monde si original que nos classifications, comme nos idées et notre vocabulaire, ont peine à s’y adapter. L’unité géographique est évidente ; un coup d’œil sur la plus rudimentaire des cartes en avertit. Le tracé des lignes est d’une simplicité qu’on prendrait pour une œuvre réfléchie de stylisation. Un vaste triangle poussé comme un coin des environs du tropique vers l’équateur, et qui découpe dans l’immensité de l’Océan indien deux golfes, le golfe Arabique à l’ouest, le golfe du Bengale à l’Est. Élevé sur la base de ce triangle, un trapèze irrégulier limité à l’occident par le cours nord-sud d’un des plus grands fleuves du monde, l’Indus, à l’orient par le delta enchevêtré de deux autres fleuves considérables, le Gange et le Brahmapoutre ; au nord une muraille à peu près infranchissable, le plus haut relief de la surface terrestre, l’Himalaya. Par delà, au nord, les plateaux presque déserts du Tibet, coupés encore de hautes chaînes transversales ; à l’ouest, les vastes déserts de sable où l’armée d’Alexandre faillit s’enliser, et les vallées découpées dans le nœud montagneux de l’Hindou-Kouch, d’où