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première runo

vague en vague sur les cimes couronnées d’écume. Et le souffle du vent vint caresser son sein, et la mer la rendit féconde.

Durant sept siècles, durant neuf vies d’homme, elle porta son lourd fardeau. Et celui qui doit naître n’est pas encore né, celui que nul n’a engendré n’a point encore vu le jour.

La mère de l’onde[1], la vierge nage ; elle nage à travers l’Orient, elle nage à travers l’Occident, elle nage à travers le Nord-Ouest et le Midi, elle nage à travers tous les rivages de l’air. D’effroyables douleurs lui brûlent les entrailles ; mais celui qui doit naître n’est pas encore né, celui que nul n’a engendré n’a point encore vu le jour.

La vierge pleure doucement et dit : « Ah ! malheureuse, que tristes sont mes jours ! Pauvre enfant, qu’errante est ma vie ! Partout et toujours, sous la voûte immense du ciel, poussée par le vent, emportée par les vagues au sein de cette vaste mer, de ces flots sans limites !

« Mieux eût valu pour moi de vivre simple fille d’Ilma, que de flotter ainsi comme la mère de l’onde. Il fait si froid ici ! Il est si dur de se voir entraînée, telle qu’un glaçon, dans ces humides demeures !

« Ô Ukko[2], Dieu suprême ! toi qui supportes le monde, viens ici, car on a besoin de ton secours ! Hâte-toi, car on t’appelle ! Délivre la jeune fille de ses angoisses, la femme des douleurs de ses entrailles ! Viens, oh ! viens vite, le besoin de ton aide presse de plus en plus ! »

Un instant, un court instant s’écoula ; et soudain un aigle[3] aux larges ailes prit son essor. Il sillonne l’air à

  1. La fille d’Ilma change ici de nom et devient la mère de l’onde. Elle a, en effet, abandonné le séjour de l’air pour celui des eaux. Du reste, ces changements ou plutôt cette accumulation de noms sur la même personne sont un des caprices familiers de la poésie finnoise.
  2. Dieu du ciel et de l’air.
  3. Je conserve ici l’aigle de la première édition du Kalevala bien