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le kalevala

du sapin les admirent, le bouleau s’émeut de leur beauté, le sorbier se laisse charmer par leurs accents.

Prématurément délaissé par ma mère, abandonné, encore enfant, par celle qui m’a donné le jour, j’ai été déposé comme l’alouette sur une motte de gazon, comme la grive sur une pierre, pour y mêler mon chant à leur chant. Et j’ai été livré à des mains étrangères, j’ai été le jouet d’une belle-mère ; elle m’a repoussé loin d’elle, pauvre orphelin, elle m’a chassé hors des murs de la maison, là où le vent du nord secoue ses ailes glacées, où la tempête déchaîne sa fureur sauvage.

Ainsi, j’ai dû fuir, triste alouette, j’ai dû errer, faible oiseau, autour de toutes les habitations du pays, à travers les longues routes ; j’ai éprouvé chaque coup de vent, chaque souffle d’orage, j’ai étudié à fond les hurlements de la tempête, j’ai tremblé sous l’étreinte du froid, j’ai pleuré sous la main de l’hiver.

Maintenant, je rencontre beaucoup d’hommes, beaucoup d’hommes vivant dans un agréable loisir ; et ils me repoussent avec colère, ils m’accablent d’injures ; ils s’indignent contre ce qu’ils appellent les caquets de ma langue, ils critiquent les tremblements timides de ma voix, ils la trouvent rude et grossière ; ils m’accusent d’user ma vie à chanter et de chanter mal, et de ne pas savoir fondre les paroles dans une mélodieuse harmonie.

Ah ! je vous en prie, ô hommes bons, ne me regardez point d’un œil de haine, ne vous irritez point contre moi lors même que mon chant serait languissant et discord ! Nul ne m’a appris à chanter ; je n’ai point fréquenté les demeures des grands, je n’ai point été chercher l’instruction au loin, je n’ai point rapporté ce que je sais des régions étrangères.

D’autres possèdent toutes les sciences ; mais je n’ai point quitté la maison de ma mère, je n’ai point déserté le foyer de mon enfance ; j’ai pris mes leçons, tout petit garçon, dans notre chambre étroite, auprès de ma douce