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quarante-septième runo

fut sur le point de s’enflammer, de rouler des étincelles.

« Trois fois pendant une nuit d’été, neuf fois pendant une nuit d’automne, il déborda en frémissant sur toutes ses rives, il souleva ses ondes jusqu’à la cime des sapins, sous les coups terribles du feu, sous les douleurs de la flamme[1].

« Et il rejeta les poissons de son lit, il poussa sur la grève aride une légion de perches ; et les poissons et les perches se demandèrent comment ils feraient désormais pour exister, pour vivre ; ils pleuraient leur ancien séjour, ils regrettaient leur château de pierre.

« Les perches à la nuque crochue se mirent à la poursuite de l’étincelle, mais elles ne purent la saisir ; la truite bleue accourut, et elle avala d’un seul coup le feu brillant, elle engloutit la flamme rayonnante.

« Alors, le lac reprit les eaux qu’il avait versées sur ses rives ; et, dans l’espace d’une nuit d’été, il rentra dans son lit.

« Un instant, un court instant s’écoula : la truite gloutonne, celle qui avait avalé le feu, se sentit en proie à d’atroces douleurs.

« Tantôt elle nage, tantôt elle s’arrête ; elle nage un jour, elle nage deux jours ; elle longe les îles fréquentées par les truites, elle parcourt les baies fréquentées par les saumons ; elle double les pointes de mille promontoires, elle traverse cent golfes ; et de chaque promontoire et de chaque île retentit ce cri : Nul ne se trouve, ni dans les ondes calmes, ni dans les torrents orageux qui pourrait avaler, qui pourrait engloutir la malheureuse truite, au milieu de ces effroyables tortures issues du feu brûlant, de la flamme dévorante.

« Le saumon rouge entendit ce cri, et il avala la truite bleue.

  1. Il y a ici évidemment une allusion à quelque grand cataclysme naturel.