« Et là, le feu s’est livré à des œuvres sinistres, à des actions perverses ; il a brûlé la poitrine des jeunes filles, il a dévoré le sein des jeunes vierges, il a calciné les genoux des garçons, il a consumé la barbe du père de famille.
« Lorsqu’il arriva près de la mère, il la trouva allaitant son enfant couché dans un pauvre petit berceau. Il n’en donna pas moins carrière à sa rage, et il commit le plus hideux de ses forfaits. Il brûla l’enfant dans son berceau, il brûla les mamelles de la mère ; et l’enfant descendit dans Manala, dans les demeures de Tuoni, car il avait été créé pour mourir, il avait été destiné à succomber sous l’horrible étreinte du feu, au milieu des cruelles douleurs de la flamme.
« Cependant, la mère ne le suivit point dans Manala ; elle sut conjurer la puissance du feu. Elle énerva sa flamme rayonnante, en la chassant à travers le trou d’une petite aiguille, la douille d’une hache, d’un ciseau à glace, sur la lisière d’un champ[1]. »
Le vieux, l’imperturbable Wäinämöinen se hâta de demander : « Où le feu est-il allé, où les étincelles se sont-elles dirigées, en quittant la lisière du champ de Tuuri ? Est-ce dans les bois ou dans la mer ? »
La femme répondit : « Quand le feu eut continué sa course, il brûla d’abord beaucoup de pays, il incendia une foule de terres et de marais ; enfin, il se précipita dans l’eau, il tomba au milieu du lac d’Alue[2], qui
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« Niin emo enemmän tiesi,
« Ei emo Manalle mennyt,
« Se tunsi tulen manata,
« Valkeaisen vaivutella,
« Lapi pienen neulan silmän
« Halki kirvehen hamaran,
« Puhki kuuman tuuran putken,
« Pitkin pellon pientaretta. »La runo voudrait-elle dire, par ces expressions étranges, que la mère a fait la part du feu, à coups de hache et de ciseau, et qu’après l’avoir ainsi amoindri, elle ne lui a plus laissé d’autre proie à dévorer que les arbres plantés sur la lisière d’un champ ?
- ↑ Probablement le lac Ladoga.