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quarantième runo

Le vieux, l’imperturbable Wäinämöinen dit : « Vous ne valez pas une moitié, pas même un tiers d’homme ; et lorsque vient le moment de faire preuve de force et d’intelligence, votre force et votre intelligence ne sont déjà plus. »

Il prit son glaive, sa lame d’acier fulgurante, et il le plongea sous le navire, et il l’enfonça dans les épaules du brochet, dans les côtes du chien de mer.

Le glaive s’attacha fortement aux ouïes du monstre. Alors, le héros l’arracha du fond de la mer et le coupa en deux morceaux ; sa queue retomba dans l’abîme, sa tête roula sur le pont du navire.

Et le navire, délivré de sa prison, reprit sa course. Le vieux Wäinämöinen le dirigea vers une île. Là, il lava la tête du brochet, et le considérant avec attention, il dit : « Quel est celui parmi les jeunes hommes qui est le plus âgé ? C’est à lui qu’il appartient de découper le poisson, de tailler sa tête en morceaux. »

Les hommes, les femmes du navire répondirent : « Les mains du pêcheur sont les plus pures, les doigts du pêcheur sont les plus saints[1]. »

Alors, le vieux, l’imperturbable Wäinämöinen saisit un couteau, une lame de froid acier, et il se mit à découper le brochet, et il dit : « Quelle est, parmi les jeunes filles, celle qui est la plus jeune ? C’est à elle à faire cuire le poisson, pour qu’il serve d’aliment délicieux au repas du milieu du jour. »

Les jeunes filles rivalisèrent de zèle pour faire cuire le poisson ; et sa chair fut mangée, mais ses os restèrent épars sur un rocher de l’île.

Le vieux, l’imperturbable Wäinämöinen examina les os de tous les côtés, et il dit : « Que pourrait-il advenir

  1. La mer et les fleuves étant chez les anciens Finnois l’objet d’un culte religieux, les poissons qui les habitaient passaient naturellement à leurs yeux pour des êtres sacrés auxquels on ne devait toucher qu’avec respect. C’est pourquoi, dans les familles, le soin de dépouiller les produits de la pêche était dévolu aux plus dignes.