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le kalevala

« On m’avait dit, lorsqu’on me construisait, on m’avait assuré, lorsque j’étais sur le chantier, que je serais un navire de guerre, que l’on m’armerait pour les batailles, on m’avait promis des cargaisons d’un riche et glorieux butin. Or, voilà que je n’ai pas encore été conduit à la guerre, que je n’ai pas même servi à transporter de simples fourrageurs.

« D’autres bateaux, des bateaux de la pire espèce se trouvent sans cesse au milieu des sanglantes mêlées, des jeux sauvages du glaive ; trois fois, chaque été, ils reviennent, chargés d’argent et de trésors. Et moi dont la quille a été formée de cent planches, moi que l’on a construit pour le combat, on m’oublie, on me laisse pourrir sur le chantier ! Les vers de terre les plus repoussants me rongent les flancs, les oiseaux de l’air les plus hideux bâtissent leur nid dans ma mâture, les crapauds des bois coassent sur ma proue. Ah ! il serait mille fois plus glorieux, mille fois plus agréable pour moi de me dresser encore, comme un pin sur la colline, comme un sapin dans la lande : l’écureuil viendrait sautiller sur mes branches, le chien aboyer près de mes racines. »

Le vieux, l’imperturbable Wäinämöinen dit : « Ne pleure point, ô mon navire, ne te lamente point, ô vaisseau richement armé de rames, bientôt tu iras au milieu des batailles, des jeux sauvages du glaive.

« Si tu es un navire créé par Dieu, un navire créé et donné par Jumala, tu dois t’élancer dans la mer, te précipiter au sein des vagues, sans que l’on te touche avec le poing, que l’on t’ébranle avec la main, que l’on t’aide avec l’épaule, que l’on te pousse avec le bras[1] ! »

  1. « Lienet pursi luojan luoma,
    « Luojan luoma, tuojan tuoma,
    « Syrjin syökseite vetehen,
    « Laioin aalloillen ajaite
    « Ilman kouran koskemata,
    « Käen päälle kayttämättä,
    « Olkapaän ojentamatta,
    « Kasivarren vaalimatta ! »