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le kalevala

celle qui m’a délaissé sur le rivage, le plongeon qui m’a oublié dans le creux d’un rocher[1] ?

« Enfant, j’ai perdu mon père ; tendre nourrisson, j’ai perdu ma douce mère. Tous les deux sont morts d’une mort prématurée, et toute ma grande famille a été dévastée. Je n’ai reçu en héritage que des souliers de glace, des bas de neige fondue durcie par le froid ; et l’on m’a abandonné sur les sentiers glissants, exposé à tomber dans chaque marais, à être englouti dans chaque bourbier.

« Et maintenant encore, à l’âge où je suis parvenu, si j’évite de glisser sur les troncs d’arbres jetés à travers les mousses humides, les terrains fangeux ; si j’évite de m’enfoncer dans les marais, c’est que j’ai deux mains pour me retenir, C’est que je sais me servir de mes cinq doigts, de mes dix doigts. »

Alors, dans l’esprit de Kullervo, dans le cerveau du fils de Kalervo, surgit la pensée de diriger ses pas vers le pays d’Untamo, afin d’y venger les douleurs de son père, les angoisses de sa mère, les durs traitements que lui-même y avait éprouvés.

Il prit la parole et il dit : « Attends, attends, Untamoinen, patience, bourreau de ma famille ! Si je marche seulement contre toi, peut-être tes maisons seront-elles réduites en cendres, tes habitations changées en tisons. »

Une vieille femme, la vieille des bois, au voile bleu, vint à sa rencontre. Et elle éleva la voix et elle dit : « Où se rend Kullervo ? Où le fils de Kalervo porte-t-il ses pas ? »

  1. « En tieä tekiätäni,
    « Enkä tunne tuojoani,
    « Lieko telkkä tielle tehnyt,
    « Sorsa suolle suorittanut,
    « Tavi rannalla takonut,
    « koskelo kiven kolohon. »

    Tout ce passage est, sous une forme allégorique, plein d’une exagération qu’explique le ressentiment amer auquel Kullervo était en proie.