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le kalevala

Le joyeux Lemminkäinen, le beau Kaukomieli dit : « Hélas ! oui, il en est ainsi, ma pauvre mère, ma déplorable nourrice ! Tu avais engendré de nombreuses colombes, tu avais mis au monde une troupe de cygnes ; et le vent les a séparés, le malheur les a dispersés.

« Je me souviens des anciens jours, je ne puis oublier les temps meilleurs, alors que nous bondissions, beaux comme les fleurs, frais comme les myrtilles, à travers les collines. Tout le monde admirait notre charmant visage, notre taille gracieuse. Il n’en est plus ainsi, maintenant, dans ces heures amères de notre vie : le vent est le seul être que nous connaissions, le soleil le seul objet que nous ayons à contempler, encore s’enveloppe-t-il de nuages et se laisse-t-il voiler par la pluie.

« Cependant, je serais moins triste, je me désolerais moins cruellement si toutes les jeunes filles vivaient heureuses, si les belles vierges se livraient à la joie, si toutes les femmes avaient le sourire aux lèvres, si les fiancées avaient l’âme douce comme le miel, si elles ne pleuraient point de regret, si elles n’étaient point dévorées par le chagrin[1].

« Les sorciers n’ont pu encore nous berner, les sorciers n’ont pu faire que nous périssions sur ces routes, que nous succombions au milieu de ce voyage, que nous nous endormions du suprême sommeil, dans les jours de notre jeunesse, dans la fleur de nos années.

« Que leurs maléfices se tournent contre leurs propres demeures, qu’ils s’attachent à leurs propres foyers, qu’ils se bernent eux-mêmes, qu’ils bernent leurs enfants, qu’ils détruisent leur famille, qu’ils exterminent toute leur race !

« Jamais mon père, jamais le père de mon père ne se sont inclinés devant le pouvoir des sorciers, jamais ils

  1. Lemminkäinen donne ici un souvenir aux jeunes filles de Saari, auxquelles son départ a fait verser tant de larmes.