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le kalevala

répondirent : « Non, il n’est pas de place dans cette île, pas même une place de la largeur de ton dos, pas un seul petit endroit libre, dont tu puisses entreprendre le défrichement et faire un champ fertile. Tout le terrain de Saari, tous ses champs ont été distribués, tous ses bois ont été tirés au sort, toutes ses jachères ont été adjugées. »

Le joyeux Lemminkäinen, le beau Kaukomieli dit : « Est-il dans cette île une place où je puisse chanter mes chants, dérouler la longue suite de mes chants ? Les paroles fondent dans ma bouche, elles germent sur mes gencives[1]. »

Les jeunes filles de l’île, les vierges du promontoire répondirent : « Sans doute, il est assez de place dans cette île pour que tu puisses y chanter tes chants, y moduler tes plus beaux chants ; tu y trouveras aussi des bocages pour folâtrer, des prairies pour danser. »

Alors, le joyeux Lemminkäinen entonna ses chants ; et soudain, par l’effet de leur vertu magique, des sorbiers surgirent dans l’enclos de l’habitation, des chênes sur la route ; et sur les chênes, des branches touffues ; et sur chaque branche, une pomme ; et sur chaque pomme, un globe d’or ; et sur chaque globe d’or, un coucou. Quand le coucou chante, l’or découle de sa langue, le cuivre de son bec, et l’argent se répand sur la colline d’or, sur la colline d’argent[2].

  1. « Sanat suussani sulavat,
    « Ikenilläni itavät. »

    Lemminkäinen veut dire que les paroles avaient été si longtemps retenues dans sa bouche que, semblables à une matière soluble, elles y fondaient, ou y germaient, ainsi qu’une graine semée dans un terrain humide.

  2. Le coucou ne revient jamais dans les runot sans y donner lieu aux développements les plus gracieux. Citons le texte original :

    « Kun kaki kukahtelevi,
    « Kulta suusta kuohahtavi,
    « Vaski leuoilta valuvi,
    « Hopea hohahtelevi,
    « Kultaiselle kunnahalle,
    « Hopeiselle mäelle. »