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vingt-huitième runo

homme noir comme la suie jetterait ses filets dans l’eau ; il prendrait les petits poissons avec sa nasse, les grands poissons avec sa ligne.

« Si tu devenais un loup des forêts ou un ours des déserts sauvages, le malheur n’en fondrait pas moins sur toi, le destin fatal ne t’en atteindrait pas moins. Car un jeune guerrier couvert de suie aiguiserait le fer de son épieu pour tuer les loups, pour terrasser les ours. »

Le joyeux Lemminkäinen éleva la voix et dit : « Je connais moi-même les lieux les plus dangereux, les plus funestes, les lieux où la mort viendrait promptement me dévorer, où une fin cruelle me serait assurée. Ô ma mère, toi qui m’as engendré, toi qui m’as nourri de ton lait, où me conseilles-tu de fuir ? Déjà la mort est devant ma bouche, le jour fatal est suspendu à ma barbe ; ma tête n’est plus que pour un jour, un jour à peine, à l’abri du danger[1]. »

La mère de Lemminkäinen dit à son fils : « Je pourrais bien t’indiquer un lieu sûr, un lieu impénétrable, où ton crime demeurerait ignoré, où tu trouverais un refuge contre le sort qui te menace. Oui, je me souviens d’un petit coin de terre dont le sol n’a jamais été mordu, jamais frappé, jamais visité par les glaives des hommes. Mais, auparavant, promets-moi par un serment éternel, par un serment inviolable de ne point aller à la guerre, de dix étés, lors même que tu n’y serais poussé que par désir de l’or ou par la soif de l’argent. »

Le joyeux Lemminkäinen dit : « Je te promets par un serment inviolable de ne point aller ni cet été, ni l’été suivant, aux grandes batailles, aux mêlées sauvages du glaive. Mes blessures des derniers combats sont encore fraîches, ma poitrine en est encore profondément sillonnée. »

  1. « Aivan on surma suun e’essa,
    « Paha paiva parran paälla,
    « Yksi päivä miehen päatä,
    « Tuskin taytehen sitana. »