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vingt-troisième runo

par la même oie, nous sommes sortis du nid de la même gelinotte. »

« Alors, mon frère se mit à pleurer, à verser des larmes amères, et il dit à sa femme, il murmura à sa bien-aimée : « Donne à manger à ma sœur ! »

« La femme de mon frère, au regard louche, me servit un plat de choux dont le chien avait déjà léché la graisse, enlevé le sel, dont Musti[1] avait déjà fait son repas.

« Mon frère dit à sa femme, il murmura à sa bien-aimée : « Apporte de la bière à l’étrangère ! » La femme de mon frère, au regard louche, m’apporta de l’eau, une eau malpropre, et dans laquelle ses sœurs et ses frères s’étaient lavé le visage et les mains.

« Je pris congé de mon frère, je dis adieu au lieu de ma naissance ; et je me mis à errer, infortunée, à travers le monde, à traîner ma misère de rivage en rivage, frappant à des portes inconnues, à des grilles étrangères, et laissant mes pauvres enfants à la garde des autres.

« Et, maintenant, grand est le nombre de ceux qui me poursuivent de leur mépris, qui m’accablent de leurs injures ; il en est peu, au contraire, qui m’adressent des paroles amies, qui me traitent avec douceur, qui m’offrent une place à leur foyer, lorsque je reviens de la pluie, lorsque je cherche un abri contre le froid ; les plis de ma robe sont couverts de frimas, les plis de ma pelisse sont roidis par la gelée.

« Non, durant les jours de ma jeunesse, lors même que cent, que mille langues me l’eussent prédit, je n’eusse jamais cru que tant de malheurs me fussent réservés, qu’un destin aussi cruel dût fondre sur moi. »

  1. De Musta noir, nom de chien.