Page:Léouzon le Duc - Le Kalevala, 1867.djvu/286

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
228
LE KALEVALA

travers les marais et les collines, à travers les grands et vastes golfes ; et j’arrivai à la limite des champs de mon frère. Là, les sapins arides, les pins à la cime touffue se mirent à murmurer, les corneilles à croasser, les chats à miauler : « Ce n’est point ici ta maison, ce n’est point ici le lieu de ta naissance ! »

« Sans m’inquiéter de ces cris, je pénétrai jusques dans l’enclos de mon frère. Les grilles prirent la parole, le champ exhala des voix plaintives : « Pourquoi viens-tu ici ? Qu’as-tu à y demander, pauvre femme ? Depuis longtemps ton père est mort, depuis longtemps ta douce mère a succombé ! Ton frère n’est plus pour toi qu’un étranger, la femme de ton frère est semblable à une Wenakko[1]. »

« Je ne pris aucun souci de cet avertissement, et m’avançant jusques vers la maison, j’appuyai la main sur le bouton de la porte. Le bouton me parut de glace.

« Quand la porte fut ouverte, je restai debout sur le seuil. La maîtresse de la maison avait l’air fier ; elle ne vint point à moi pour m’embrasser, elle ne me tendit point la main. Je lui témoignai la même tendresse ; je n’allai point à elle pour l’embrasser, je ne lui tendis point la main. Je tendis la main au foyer ; sa dalle était froide ; je tendis la main à la dalle ; son charbon était froid.

« Mon frère était étendu sur le banc, à l’angle de la cheminée ; une suie épaisse couvrait sa tête, ses épaules, tout son corps.

« Il adressa la parole à celle qui arrivait, il interrogea l’étrangère : « Viens-tu d’au delà du golfe, ô étrangère ? » Je répondis ces seuls mots : « Ne reconnais-tu point ta sœur ? Nous sommes les enfants d’une seule mère ; nous avons été couvés par le même oiseau, élevés


    personnes et aux choses les qualités qui devraient essentiellement leur appartenir.

  1. C’est-à-dire dure comme une Moscovite. Wenakko vient de Wenäja, Russie.