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vingt-troisième runo

bouche fumante de colère, c’est en vain que je la servais à la place d’honneur de la table, dans un vase à bordure d’or ; je n’avais à manger, pauvre misérable, que les restes de farine ramassés sur la pierre de la meule ; ma table était la dalle du foyer, ma cuiller la longue cuiller de la chaudière.

« Souvent, triste épouse, dans la maison de mon époux, je rapportais de la mousse et je m’en faisais du pain[1] ; je tirais de l’eau du puits, et je la buvais dans le seau. Si je voulais manger du poisson, une seule petite ablette, je devais la pêcher moi-même ; jamais ma belle-mère ne m’en donnait, ne fût-ce que pour un seul jour, pour un seul repas.

« Pendant l’été, je fauchais le foin ; pendant l’hiver, je battais le grain, comme une femme de journée ordinaire, comme un esclave gagé. Mon beau-père me donnait toujours et partout le plus grand, le plus lourd fléau, sans penser jamais que je pusse être fatiguée, que je pusse être à bout de forces, bien que déjà les hommes fussent épuisés, que les chevaux tombassent de lassitude.

« Ainsi je travaillais, pauvre fille, ainsi je consumais toutes mes forces ; et, quand le temps de se reposer était venu, on m’envoyait au feu, on souhaitait de me voir en sa puissance[2].

« Sans raison aucune, on me diffamait, on répandait des bruits odieux contre ma moralité, contre mon honneur ; ces bruits, ces mensonges tombaient sur moi

  1. Dans les temps de disette, les Finnois font encore aujourd’hui du pain avec de l’écorce de bouleau broyée ou mêlée avec de la farine de seigle ; on appelle ce pain, pain de misère.
  2. « Jo tulehen tuomittihin
    « Sen katehen kaskettihin. »

    Mot à mot : On me condamnait au feu, on m’ordonnait d’aller dans ses mains. Ce qui signifie, sans doute : On souhaitait de me voir brûler, ou comme nous disons vulgairement : On m’envoyait à tous les diables.