bouche fumante de colère, c’est en vain que je la servais à la place d’honneur de la table, dans un vase à bordure d’or ; je n’avais à manger, pauvre misérable, que les restes de farine ramassés sur la pierre de la meule ; ma table était la dalle du foyer, ma cuiller la longue cuiller de la chaudière.
« Souvent, triste épouse, dans la maison de mon époux, je rapportais de la mousse et je m’en faisais du pain[1] ; je tirais de l’eau du puits, et je la buvais dans le seau. Si je voulais manger du poisson, une seule petite ablette, je devais la pêcher moi-même ; jamais ma belle-mère ne m’en donnait, ne fût-ce que pour un seul jour, pour un seul repas.
« Pendant l’été, je fauchais le foin ; pendant l’hiver, je battais le grain, comme une femme de journée ordinaire, comme un esclave gagé. Mon beau-père me donnait toujours et partout le plus grand, le plus lourd fléau, sans penser jamais que je pusse être fatiguée, que je pusse être à bout de forces, bien que déjà les hommes fussent épuisés, que les chevaux tombassent de lassitude.
« Ainsi je travaillais, pauvre fille, ainsi je consumais toutes mes forces ; et, quand le temps de se reposer était venu, on m’envoyait au feu, on souhaitait de me voir en sa puissance[2].
« Sans raison aucune, on me diffamait, on répandait des bruits odieux contre ma moralité, contre mon honneur ; ces bruits, ces mensonges tombaient sur moi
- ↑ Dans les temps de disette, les Finnois font encore aujourd’hui du pain avec de l’écorce de bouleau broyée ou mêlée avec de la farine de seigle ; on appelle ce pain, pain de misère.
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« Jo tulehen tuomittihin
« Sen katehen kaskettihin. »Mot à mot : On me condamnait au feu, on m’ordonnait d’aller dans ses mains. Ce qui signifie, sans doute : On souhaitait de me voir brûler, ou comme nous disons vulgairement : On m’envoyait à tous les diables.