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LE KALEVALA

ta mère qui t’a portée dans son sein, au milieu de tant d’angoisses, qui a si cruellement souffert lorsque étendue, dans la chambre de bain, sur sa couche de paille[1], elle t’a mise au monde[2] ! »

Il était, sur le plancher de la chambre, une femme, une vieille femme, vêtue d’un long manteau, une vagabonde du village ; elle éleva la voix et elle dit :

« Le coq chante pour sa bien-aimée, le fils de la poule chante pour sa belle, la corneille chante aux jours de tempête, elle chante à l’arrivée du printemps. Je voudrais, moi aussi, pouvoir chanter ; ma voix devrait se faire entendre au lieu de leur voix. Ils ont une amie dans leur demeure, ils possèdent toujours auprès d’eux un objet adoré ; mais, moi, je suis sans asile et sans ami, je passe ma vie dans un malheur sans fin.

« Écoute, ma petite-sœur, ce que j’ai à te dire : quand tu seras arrivée dans la maison de ton fiancé, garde-toi de te soumettre, comme je l’ai fait moi-même, infortunée, à sa volonté ! Oui, je me suis montrée trop docile aux ordres de mon époux, à sa voix d’alouette[3], je me suis courbée sous la puissance de l’homme superbe.

« Jadis, j’étais une fleur, une belle fleur des bruyères, j’étais un gracieux rejeton, une svelte tige, dans les jours de ma jeunesse et de mon enfance ; on me flattait, on me caressait des noms de jolie baie, de gruau d’or ; mon père m’appelait charmante colombe, ma mère oie succulente, mon frère oiseau des ondes, ma sœur gai rossignol. Je cheminais, telle qu’une fleur, sur la route, telle qu’une fraise à travers les champs ; je parcourais

  1. Les femmes des Finnois accouchent ordinairement dans la chambre de bain ; la chaleur qui rayonne du fourneau, la douce vapeur qui les enveloppe aident à leur délivrance.
  2. Cette longue suite de leçons et de conseils forme un chant spécialement destiné aux jeunes fiancées, et qui s’appelle chant de l’enseignement : Opastus virsi. Celui qui suit et dont le but est de faire ressortir tous les inconvénients et les dangers du mariage, s’appelle chant de la bru : Miniän virsi.
  3. Séduisante et perfide comme Île chant de l’alouette.