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vingt-troisième runo

mets en route, ô fraise des bois, tu t’envoles loin de nous, ô fin duvet, tu nous quittes, à tissu de velours, tu t’en vas loin de cette grande habitation, de cette belle maison, pour te rendre dans une autre demeure, au milieu d’une famille étrangère. Ta position y sera bien différente. Tu devras y marcher avec prudence, t’y conduire avec réflexion ; tu ne pourras point, comme dans la maison de ton père, comme dans la demeure de ta mère, courir, en chantant, à travers les vallées, gazouiller sur les routes.

« En abandonnant ces lieux, n’oublie pas d’emporter avec toi tout ce qui t’appartient, tout, excepté trois choses : le sommeil superflu pendant le jour, les douces paroles de ta mère, le pain d’écorce toujours frotté de beurre[1] !

« Oui, souviens-toi de tout emporter ; mais laisse ta provision de sommeil aux filles de la maison, laisse-la au coin de la cheminée ; laisse tes chants sur le banc[2], tes chants joyeux sur la fenêtre, tes enfantillages sur le balai, ta capricieuse insouciance sur le lit, tes mauvais penchants sur le foyer, ta paresse sur le plancher ; ou bien offre-les à ta compagne de noces[3], dépose-les sur ses bras, afin qu’elle les emporte dans le bois, qu’elle les cache au milieu des bruyères.

« Tu devras prendre de nouvelles habitudes et oublier

  1. C’est-à-dire ces trois priviléges dont tu jouis ici ne te suivront point dans la maison de ton époux. Citons l’original :

    « Kun lahet talosta tåstå,
    Muista kaikki muut kalusi.
    Ne kolme kotihi in heitä :
    Paivan päaliset unoset,
    Emon armahat sanaset,
    Joka kiruun pettåjäiset ! »

  2. Les chants lyriques des jeunes filles comme ceux des enfants sont en médiocre estime auprès des gens âgés qui cultivent exclusivement les grandes runot épiques. C’est pourquoi, en toute circonstance solennelle et qui exige un esprit plus mûr, on les invite à y renoncer. Le Kalevala fournit de nombreux exemples de cet usage.
  3. Fille d’honneur.