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vingt-deuxième runo

espérances dans toutes les années de ma vie. Je m’attendais à voler comme le coucou, à chanter comme lui, sur les collines, lorsque viendrait pour moi le jour présent, lorsque j’aurais atteint ce but désiré. Hélas ! je ne volerai point comme le coucou, je ne chanterai point, comme lui, sur les collines ; je suis semblable au canard sauvage, à l’oie plaintive, lorsqu’ils nagent au milieu des grands golfes, dans l’onde froide, lorsqu’ils s’agitent au sein des lacs couverts de glace.

« Malheur à toi, mon père ! malheur à toi, ma mère ! malheur à vous, mes parents bien-aimés ! Pourquoi m’avez-vous enfantée, pourquoi m’avez-vous nourrie, moi, pauvre infortunée, pour pleurer ces larmes, pour souffrir ces angoisses, pour languir dans ces douleurs, pour être rongée par ces tourments ?

« Il eût été mieux, ô ma pauvre mère, ô ma douce et tendre nourrice, il eût été mieux d’envelopper de langes un tronc d’arbre, de laver des petits cailloux, que de laver ta fille, que d’habiller ta chère enfant, pour ces grands chagrins, pour ces amères douleurs !

« Beaucoup d’autres disent, beaucoup d’autres pensent : La jeune fille est libre de soucis, elle n’est point attristée par le chagrin. Ô hommes bons, ne dites plus, ne répétez plus de telles paroles ! J’ai plus de soucis qu’il n’y a de pierres dans la cataracte, de rameaux d’osier dans une terre stérile, de fleurs de bruyères dans une lande aride. Un cheval ne pourrait les porter, un sabot de fer ne pourrait les traîner, sans que son collier ne fléchît, sans que l’arc de son collier ne tremblât, sous le poids de mes chagrins, pauvre misérable ! de mes noires angoisses. »

Un enfant chante, couché sur le plancher ; un jeune garçon chante du coin du foyer[1]. « À quoi servent les larmes de la fiancée, à quoi servent ses grands chagrins ?

  1. Après la formule propre à faire couler les larmes vient la formule de consolation. La runo la place dans la bouche d’un enfant, comme pour la rendre plus expressive et plus touchante. On l’appelle chant ou paroles de la consolation (Lohdutus-sanat).