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vingt-deuxième runo

est dans la maison de son époux comme le prisonnier en Wenäjä[1], seulement elle n’a pas de gardes.

« Il lui faut travailler sans répit, dépenser toutes ses forces, la sueur coule de son front et inonde son visage ; puis, quand l’heure du repos a sonné, on l’envoie se traîner dans le feu, on la condamne à se morfondre dans le foyer.

« Elle devrait avoir, la pauvre fille, elle devrait avoir le cœur du saumon, la langue de la petite perche, les pensées de la perche des lacs, la bouche de la martre, le ventre de l’ablette, la prudence du canard[2].

« Il n’en est pas une, il n’en est pas neuf parmi les jeunes filles vivant chez leur mère, élevées dans leur famille, qui sachent, qui prévoient d’où viendra celui qui les mangera, d’où surgira celui qui les dévorera, qui dévorera leur char, qui rongera leurs os, qui leur arrachera les cheveux et les jettera aux vents du printemps[3].

« Pleure, pleure, à jeune fiancée, verse des larmes vraiment amères, de longues larmes ; verse, plein Île creux de ta main, les ondes de ta douleur ; verse-les goutte à goutte sur la maison de ton père ; verse des lacs sur le seuil de celui qui t’a élevée, verse un fleuve sur l’habitation, verse des flots sur les solives du plancher ! Si tu ne pleures pas quand c’est le moment de pleurer, tu ne pleureras que trop quand tu reviendras ici, quand tu visiteras de nouveau la maison de ton père, car tu trouveras ton vieux père étouffé par la fumée dans la

  1. La Russie.
  2. Traduction littérale, et qui veut dire : Elle devrait avoir la ruse et la hardiesse du saumon, la discrétion de la petite perche, la sagesse de la perche des lacs, la frugalité de la martre et de l’ablette, pour trouver grâce devant son époux.
  3. Toute cette partie de la runo est encore une de ces formules obligées, comme nous en avons déjà vue précédemment. Elle à pour but le représenter, en les exagérant, à la jeune épouse, tous les ennuis qui suivent le mariage, afin de lui inspirer le regret des choses qu’elle va quitter. On l’appelle le chant des larmes (Itketysvirsi).