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quinzième runo

d’avoir cru pouvoir berner les berneurs, ensorceler les Lapons, tout en ignorant les perfides exploits du serpent, les morsures fatales de la bête venimeuse. Le serpent des eaux est né des eaux, la bête venimeuse est née des flots ; il a été formé de la cervelle du canard, de la tête de l’hirondelle de mer. Syöjätär[1] a craché dans l’eau ; elle a envoyé un flocon de salive dans l’onde claire, et le courant a dilaté ce flocon, le soleil l’a amolli, les vents l’ont ballotté, les vagues l’ont poussé vers le rivage. »

La mère de Lemminkäinen berça, dorlota son enfant bien-aimé, jusqu’à ce qu’il eût repris ses forces et son aspect d’autrefois, jusqu’à ce qu’il devint plus solide et plus vigoureux qu’il ne l’avait jamais été. Puis elle lui demanda s’il lui manquait encore quelque chose.

Le joyeux Lemminkänen dit : « Oh ! oui, il me manque encore beaucoup de choses. Mon pauvre cœur n’est point ici ; il erre avec mes désirs, avec mes pensées, parmi les jeunes filles de Pohjola, parmi les belles chevelures. La vieille de Pohjola, au nez pourri, ne me donnera point sa fille, si je ne tue le cygne du fleuve de Tuoni, si je ne l’apporte du tourbillon du torrent sacré. »

La mère de Lemminkäinen dit : « Laisse donc tes cygnes maudits dans les ondes noires de Tuoni, dans le torrent mugissant ! Reviens à la maison, avec ta tendre mère ; apprécie enfin ton bonheur ; rends grâces au Dieu révélé de ce qu’il t’a secouru si efficacement, de ce qu’il t’a rendu à la vie. Jamais je n’aurais réussi sans l’aide de Jumala, sans l’intervention du vrai Créateur. »

Alors, le joyeux Lemminkäinen reprit la route de sa maison, avec sa tendre mère, sa bien-aimée nourrice.

  1. Déesse ou sorcière des eaux.