Page:Léouzon le Duc - Le Kalevala, 1867.djvu/170

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
112
le kalevala

Alors, il prit un poteau d’érable, une verge de bouleau, et il attacha l’animal au milieu d’un petit bois clos, planté de chênes.« Reste là maintenant, élan de Hiisi, bondis à ton aise, renne sauvage[1]. »

Puis, il lui passa la main sur le dos, lui caressa doucement la peau, et dit : « Il me conviendrait tout à fait, il me serait on ne peut plus agréable de coucher là-dessus, en compagnie d’une jeune fille, d’une svelte et florissante colombe ! »

L’élan de Hiisi entra en fureur ; le renne sauvage frappa la terre de son sabot, et il dit : « Que Lempo te prépare ton lit, s’il le veut, pour y dormir avec tes jeunes tilles, pour y vivre avec tes colombes ! »

Et il s’agita de toutes ses forces, brisa ses liens de bouleau, mit son poteau d’érable en pièces, renversa la cloison de chêne, et prit sa course impétueuse à travers les marais et les déserts, les collines et les bois, et bientôt, il devint invisible à l’œil, insaisissable à l’oreille.

Le joyeux Lemmikäinen, transporté d’une rage amère, d’une colère sans égale, se mit aussitôt à la poursuite de l’élan de Hiisi.

Mais, à peine eut-il fait un pas que les sangles de ses deux suksi se rompirent près du talon, que son bâton se brisa près de la ferrure et jusqu’à la hauteur de la palette. L’élan de Hiisi disparut tout à fait.

Le joyeux Lemmikäinen, le cœur triste, la tête penchée, regarda en soupirant ses suksi brisés, et il dit : « Que jamais, tant que durera cette vie, nul autre de nos héros ne s’aventure comme moi, malheureux, à la poursuite de l’élan de Hiisi ! J’y ai perdu mes bons suksi ; j’y ai brisé mon bâton et le meilleur de mes épieux. »

  1. Le coursier de Hiisi est appelé tantôt élan, tantôt renne, etc. Cette accumulation de noms sur un même objet est familière à la poésie finnoise ; on en a vu, on en verra encore beaucoup d’autres exemples.