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le kalevala

un superbe élan[1]. Ils lui firent la tête d’un tronc d’arbre pourri, les cornes d’un saule branchu, les pieds de roseaux, les jambes de plantes marécageuses, le dos d’un poteau de cloison, les veines de paille sèche, les yeux de fleurs aquatiques, les oreilles de feuilles de nénuphar, la peau d’écorce de sapin, la chair de poutres moisies.

Hiisi donna lui-même ses instructions à son élan, il parla de sa propre bouche au bel animal : « Pars, maintenant, ô élan de Hiisi ; vole, élan rapide, vers les lieux où s’accouplent les rennes, vers les champs des fils de Laponie ; fais que ceux qui te poursuivront soient inondés de sueur sur leurs suksi, Lemmikäinen avant tous les autres.

Et l’élan de Hiisi s’élança, le rapide animal prit son essor vers les régions de Pohja, vers les champs des fils de Laponie, et en passant devant une goatte[2], il renversa d’un coup de son sabot la chaudière qui était sur le feu, en sorte que la viande roula dans les cendres, que la soupe se perdit sur la pierre du foyer.

Alors, un grand tumulte éclata parmi les Lapons : les chiens aboyèrent, les enfants pleurèrent, les femmes ricanèrent, tout le peuple murmura.

Le joyeux Lemmikäinen, chaussé de ses suksi, poursuit avec ardeur l’élan de Hiisi. Il traverse les marais et les vastes déserts, il longe les vastes forêts défrichées par le feu. Le feu jaillit de ses suksi, la fumée du bout de son bâton ; mais il ne voit pas encore l’élan, il ne le voit ni ne l’entend.

Il franchit les montagnes et les collines, il franchit les lacs et les mers, et les bruyères sauvages de Hiisi, et les landes arides de Kalma. Déjà, il touche aux demeures de la mort, et Surma[3] lève la tête, et elle ouvre la gueule

  1. Ironie familière aux runot finnaises.
  2. Hutte laponne.
  3. Personnification de la mort violente, du destin fatal.