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Une, cependant, lui échappa, une vierge qu’aucun prétendant n’avait pu fléchir, qu’aucun homme n’avait pu charmer : c’était la belle Kylliki, la gracieuse fleur de Saari.

Le joyeux Lemmikäinen, le beau Kaukomieli, usa cent paires de chaussures, cent paires de rames, à courir après elle, à chercher à la captiver.

La belle Kylliki lui dit : « Pourquoi restes-tu ici, misérable ? Pourquoi, vilain oiseau, rôdes-tu dans cette île, t’enquérant des jeunes filles, épiant les ceintures d’étain ? Je ne serai libre que lorsque j’aurai usé le mortier à piler le grain, que lorsque j’aurai mis le pilon hors de service[1].

« Que m’importent les folles cervelles et les libertins turbulents ? Je veux pour époux un homme, comme moi sérieux et digne ; je veux pour ma fière beauté, une beauté plus fière encore ; je veux pour ma noble taille une taille encore plus noble. »

Un peu de temps s’écoula, un demi-mois à peine, et voilà qu’un jour, un beau soir, les jeunes filles de Saari folâtraient et dansaient joyeusement sur la lisière d’une forêt, au milieu des bruyères fleuries. Kylliki était à leur tête, comme la plus illustre et la plus belle.

Tout à coup, Lemmikäinen vint les surprendre ; il était dans son traîneau attelé de son fougueux étalon. Il enleva Kylliki, et la força de se placer à côté de lui, sur son tapis d’éclisses[2].

Puis il fit claquer son fouet, il en frappa les flancs du coursier, et partant aussitôt, il dit : « Gardez-vous bien, ô jeunes filles, de jamais me trahir, gardez-vous bien de

  1. En l’absence de moulins proprement dits, les anciens Finnois broyaient leur grain dans un moulin à main (kasi-kiwi), ou avec un pilon (petkele), dans un mortier en bois (huhmari). C’était là l’occupation des femmes, pendant laquelle elles chantaient des chants connus sous le nom de chants de la farine (jauho-runot).
  2. Le fond des traîneaux ordinaires des paysans finnois est formé, encore aujourd’hui, d’une sorte de tapis (listet) d’éclisses disposées en treillis et reliées entre elles avec des verges d’osier.