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neuvième runo

que tu jurais ton redoutable serment, au cœur du foyer, sur l’acier de l’enclume, sur le champ du marteau.

« Mais, voilà que tu as grandi, et, alors, tu t’es levé pour la révolte, tu as renié ton serment, tu as mangé comme un chien ta conscience et ton honneur, tu as déchiré ta race, tu as assailli ta famille avec tes dents meurtrières.

« Qui t’a poussé à ce crime ? qui t’a excité à cette action misérable ? Est-ce ton père, est-ce ta mère, est-ce l’aîné de tes frères, la plus jeune de tes sœurs, ou quelque autre de tes illustres parents ?

« Non, ce n’est point ton père, ce n’est point ta mère, ni l’aîné de tes frères, ni la plus jeune de tes sœurs, ni aucun autre de tes illustres parents ; de toi-même tu t’es livré à cet acte exécrable, à cet exploit de Kalma[1] !

« Viens donc contempler ce que tu as fait, viens effacer les traces de ton crime, avant que je le raconte à ta mère, avant que je porte plainte à ta nourrice. La mère souffre davantage, la nourrice est dans une angoisse plus grande, lorsque le fils commet le mal, lorsque l’enfant devient pervers.

« Cesse de couler, ô sang ! Cesse, ô sang chaud, de jaillir jusque sur moi et d’inonder ma poitrine ! Reste droit comme un mur, immobile comme la cloison d’un champ, comme un glaive dans la mer, comme l’algue dans le marais, comme la borne sur la route, comme le rocher au milieu de la cataracte mugissante !

« Mais, si ton instinct te pousse à couler, à te précipiter avec violence, coule du moins dans la chair, bondis à travers les os. Il est mieux, il est plus beau pour toi de rougir la chair, de bouillonner dans les veines, d’arroser les os, que de couler par terre et de te prostituer parmi les ordures.

« Oui, il est indigne de toi, ô lait, ô sang innocent, de te souiller dans la poussière ; il est indigne de toi, ô

  1. La mort. Kalma signifie littéralement odeur de cadavre.