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sixième runo

Joukahainen tira une troisième fois. La flèche toucha juste : elle atteignit à la rate le bleu cheval de Wäinämöinen, le cheval léger comme la paille, svelte comme une tige de pois, elle le frappa à la hanche gauche et lui transperça les chairs.

Le vieux Wäinämöinen tomba sur les doigts dans la mer, sur les mains dans les flots, sur les poings dans les vagues bouillonnantes, du haut du cheval léger comme la paille, svelte comme une tige de pois.

Et voilà qu’il s’éleva une grande tempête : le héros fut emporté par une vague impétueuse, loin, bien loin des rivages, au sein des vastes abîmes.

Alors, d’un ton superbe, le jeune Joukainen lui dit :

« Ô vieux Wäinämöinen, tu ne viendras plus, avec des yeux vivants, tant que durera ce monde, que la lune brillera comme de l’or, tu ne viendras plus chevaucher dans les bois de Wäinölä, dans les landes de Kalevala. »

Wäinämöinen erra pendant six printemps, pendant sept étés, pendant huit années, tel qu’un bloc de bois, au milieu de la mer immense, des vagues sans fin.

Et Joukahainen revint dans sa demeure ; sa mère lui demanda aussitôt :

« As-tu déjà tiré sur Wäinämöinen, as-tu tué le fils de Kaleva ? »

Le jeune Joukahainen répondit :

« Oui, j’ai tiré sur Wäinämöinen, j’ai tué le fils de Kaleva. Le vieillard est maintenant à arpenter la mer, à balayer les vagues ; il est tombé sur ses doigts, il a roulé sur ses mains plates, puis il s’est tourné sur le flanc, il s’est fixé sur le dos, pour être ballotté au sein de l’abîme, pour être poussé par les flots orageux. »

La mère dit :

« Tu as commis une méchante action, ô misérable, en tirant sur Wäinämöinen, en tuant Kalevalainen, le plus grand héros de Suvantola, le plus beau des hommes de Kalevala. »