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le kalevala

Mais voici que le poisson, le beau poisson, s’échappa de ses mains, et bondit hors du rouge bateau, du bateau de Wäinämöinen.

Et, à la cinquième bouffée de vent, il leva la tête au-dessus des eaux, il leva son épaule droite près des filets du pêcheur. Puis il étendit la main droite, il avança le pied gauche, sur le septième pli du golfe, sur la neuvième vague[1], et il dit :

« Ô vieux Wäinämöinen, je n’ai jamais été faite pour être coupée en morceaux, comme un saumon, afin de servir à ton repas du matin, à ton repas du milieu du jour, à ton grand repas du soir. »

Le vieux Wäinämöinen lui dit : « Pourquoi donc as-tu été faite ?

« J’étais destinée à devenir ta colombe et à reposer sur ton sein, à m’asseoir éternellement à tes côtés, à être la compagne de ta vie, à préparer ton lit, à arranger tes oreillers, à mettre en ordre et à balayer ta chambre, à allumer ton feu, à étendre la braise dans ton poêle, à faire cuire ton pain, à pétrir tes gâteaux de miel, à te présenter le pot de bière, à te servir tes repas.

« Non, je n’étais ni un saumon de mer, ni une perche des flots profonds ; j’étais une femme, une jeune fille, la sœur de Jouhakainen, celle après laquelle tu as soupiré tous les jours de ta vie.

« Ô vieillard insensé, stupide Wäinämöinen, qui n’as pas su retenir la vierge humide de Wellamo, la fille unique d’Atho ! »

Le vieux Wäinämöinen, accablé de douleur, baissa la tête et dit :

« Ô sœur de Joukahainen, reviens une seconde fois auprès de moi. »

Mais la jeune fille ne revint pas, elle ne revint pas une seule fois dans tout le cours de cette vie. Elle dis-

  1. La poésie finnoise se jette volontiers dans les bizarreries les plus fantastiques. Nous en verrons d’autres exemples.