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idylles,


LES DEUX RUISSEAUX.

Daphnis, privé de son amante,
Conta cette fable touchante
À ceux qui blâmaient ses douleurs :
Deux ruisseaux confondaient leur onde,
Et sur un pré semé de fleurs
Coulaient dans une paix profonde.
Dès leur source, aux mêmes déserts,
La même pente les rassemble,
Et leurs vœux sont d’aller ensemble
S’abîmer dans le sein des mers.
Faut-il que le destin barbare
S’oppose aux plus tendres amours ?
Ces ruisseaux trouvent dans leurs cours
Un roc affreux qui les sépare.
L’un d’eux, dans son triste abandon,
Se déchaînait contre sa rive ;
Et tous les échos du vallon
Répondaient à sa voix plaintive.
Un passant lui dit brusquement :
Pourquoi sur cette molle arène
Ne pas murmurer doucement ?
Ton bruit m’importune et me gêne.
N’entends-tu pas, dit le ruisseau,
À l’autre bord de ce coteau
Gémir la moitié de moi-même ?