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mettait pas de concevoir un don gratuit, il a tiré de sa poche un bout de papier crayonné.

— Tiens, alors je te donne un dessin, a-t-il dit simplement. Et son alors contenait l’inflexibilité essentielle des obligations réciproques.

Depuis cette époque, presque chaque jour, il y a échange entre nous, après quatre heures, dans le préau. (Vers trois heures, la normalienne distribue des carrés de papier et des crayons et autorise l’art fantaisiste.) Je tends un bonbon, Richard tend son croquis, nous ne sourcillons pas.

Pourtant un sentiment ondule chez Richard, mais je ne discerne pas si c’est de la reconnaissance, ou un souci d’honnêteté. Il a œuvré pour moi, expressément, avec conscience, avec goût, selon l’invariable répertoire graphique des jeunes enfants : une locomotive, un bateau, un cheval, un bonhomme. De plus, je constate qu’il laisse le moins de blanc possible ; il affiche un air satisfait qui signifie : « Tu es bien servie, j’espère ? » Très attentif au sort de sa création, il ne me quitte pas des yeux que je ne l’aie précieusement logée dans ma poche.

Quand je me flatte d’avoir obtenu de l’attention, je fais allusion à une autre histoire.

Vendredi dernier, il était dix heures passées, je profitais de la présence de Madame dans sa classe pour préparer les tables du déjeuner ; soudain j’entendis la normalienne qui se fâchait à l’extrême :

— Vraiment, c’est intolérable ! Adam ! je ne veux plus de vous ; sortez cinq minutes à la porte, dans le préau, avec Rose.