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de leur pensée. Cela me chiffonne… surtout les élèves de Mlle Bord : ce sont déjà des personnages définis, je désirerais être admise dans leur intimité, je me sens à leur niveau… Et pourquoi donc me dédaigneraient-ils ? Est-ce qu’ils copieraient la correcte et supérieure politesse de Mademoiselle à mon égard ? Quand la sculpturale normalienne me parle, ses yeux ne posent pas sur moi, ils s’étendent au delà ; elle ne doit pas savoir si je suis brune ou blonde. Ses élèves empruntent ce regard distrait, négligent, pour me demander leur panier, leur béret. J’ai beau les aider, à l’arrivée, au départ, les rafistoler dans la journée, leur servir à déjeuner, ils ne m’aiment pas à la façon de mes tout petits. Je me sens pareille à une demoiselle habituée aux adulations, qui croit sa beauté irrésistible et qui rencontre un jeune homme parfaitement indifférent : elle le déteste, elle cherche des rivales à détester, elle devient capable des pires sottises pour s’imposer à lui… Eh bien, oui ! je suis ambitieuse, orgueilleuse, jalouse ! oui, jalouse… Et j’ai voulu obtenir de l’attention ; j’en ai obtenu.

Je ne parle pas de Richard, l’affreux gamin à tête de singe malade, à qui j’ai révélé le goût des pastilles de chocolat. Le cas est tout à fait à part. Il existe entre nous un pacte, intensément sérieux, exempt de sentimentalité. C’est Richard qui a délimité nos rapports. Je lui avais donné un bonbon ; sa stupéfaction diminuée, il a exigé de rentrer dans le raisonnable ; on ne peut pas vivre sans attribuer aux faits une logique. Son expérience ne lui per-