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trois doigts ; les camarades poussent, appuyés à la planche et au chargement ; avec un formidable vacarme de cris et de roulement, le traîneau, mené de travers, heurte les boutiques ou verse sur la chaussée. On relègue les voyageurs assommés dans un coin ; d’autres marmots se disputent à qui fera le nouveau chargement.

Une fillette m’a dit bonjour. Elle a sept ans, on ne lui en donnerait pas quatre ; ses condisciples l’appellent « la Souris ». Elle accompagnait sa mère, marchande des quatre-saisons, elle poussait le dessous de la voiture et criait d’une voix drôle, courageuse : « Quat’sous les pommes, quat’sous la livre » ; une vieille voix des rues, qui n’aurait pas pu servir à aucun jeu d’enfant.

Les Buttes-Chaumont ! Cela m’a rappelé mon enfance : du bonheur confiant, simple et doux. Des choses inutiles à mettre ici.

Je suis rentrée avec la nuit, parce que, le soir, ma rue me fait peur avec toutes ses lanternes d’hôtels meublés, ses faux éclairages de marchands de vin et des gens qui rôdent et s’effacent, et d’autres plantés là qui semblent vous évaluer. La façade sombre de l’école ménage un espace louche, en retrait, où stationnent toujours des femmes, des hommes, et, au loin, c’est le boulevard de Ménilmontant, encore plus hasardeux, trop vaste, avec ses arbres égarés et ses tramways hurleurs qui fuient le long des réverbères.

Je suis rentrée pas très réchauffée… On aimerait voir un visage en ouvrant sa porte ; on aimerait