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la maternelle

La méthode actuelle consiste principalement à faire des récits. À travers la cloison vitrée, je vois et j’entends la normalienne, debout à son bureau, qui raconte une leçon. Correctement vêtue de noir, calme, sculpturale, ni gaie, ni triste, elle est à sa juste place et remplit son rôle exact. Elle représente le bien, elle le dégage, elle le projette.

Et j’ai un plaisir grave à compter, en face d’elle, cinq rangées de douze enfants : les garçons tondus, les filles, aux cheveux noués d’un bout de ruban. L’ensemble apparaît toujours gris, piteux, mais, grâce au large éclairage de serre, un aspect vivant, printanier, prometteur, se découvre aussi. Tous reflètent et absorbent la maîtresse, les uns avec vibration, les autres avec un abandon végétatif : le buste mou, la tête inclinée sur l’épaule, les lèvres disjointes. Mais la signification est unanime :

« Tiens : nous sommes la simple, sereine et ouverte nature ; va, tu n’as qu’à susciter en nous la potentielle richesse. »

Mon impression s’accentue : il n’y a rien d’arrêté dans ces âmes, ni bon, ni mauvais ; c’est l’indécise éclosion. Et alors ?… On dirait que mon corps se resserre et que mon front s’évase… Pensez donc : non seulement on accueille les enfants à deux ans, mais la plupart viennent de la crèche où ils ont été admis dès leur naissance ! Comme cet élevage est prévoyant et généreux de la part de la société ! L’humanité a procréé, voilà son sang ; attention ! dame Société, c’est pour vous que vous travaillez !