Page:Léon Frapié - La maternelle, 1904.djvu/62

Cette page a été validée par deux contributeurs.
42
la maternelle

une élève de l’école, mais elle, elle m’avait observée, elle savait ma persévérance à placer mon chiffon ; une poupée de six ans, tête brune, ovine, vaguement juive, les cheveux relevés par un peigne, ce qui favorisait l’avancée d’effronterie de ses sourcils, de son nez, de tout son petit museau.

Je m’approchai, réellement furieuse.

Alors elle, avec un sourire qui contenait toutes les réprimandes susceptibles de lui être adressées et toutes les excuses de sa part, et tous les appels à mon indulgence, de grande personne, avec un hochement de tête repentant et d’une adorable malice :

— Je suis méchante, hein ?

Oh ! ce prodigieux, cet incommensurable inattendu de l’enfance ! Et quelle féminité dans ce brimborion ! J’ai vu une jolie femme accoutumée à tourmenter son mari, cumuler ce jeu irrésistible, cet aveu qui subjugue et oblige à tous les pardons, cette inspiration aux racines introuvables qui fait servir la méchanceté même à obtenir un redoublement d’affection.

— Petite Louise Guittard, je me souviendrai de toi… quand j’aurai des bonbons.

Dans la classe de la directrice, tout en assurant le mouchage des nez et l’équilibre des bambins, parfois mobiles sur leurs bancs comme des feuilles au vent, je m’intéresse aux travaux de Mlle Bord. Mon infime emploi me devient cher, parce qu’il me permet de constater, sur le vif et dès l’origine, la fonction grandiose de l’école maternelle.