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la maternelle

à huit heures un quart, le matin, de cinq heures et demie à six heures, le soir.

Mais, voilà le plus renversant : vis-à-vis des tout petits, elle seule représente l’école. En effet, on ne leur fait pas la classe, à ces mioches, il s’agit en réalité de les garder et de les soigner. Or tous les soins appartiennent à la femme de service, d’une part, et, d’autre part, la garde lui incombe une partie du temps, la directrice étant souvent dérangée. Aussi la maîtresse est-elle bien plus éloignée des petiots que la journalière ; ils s’égalent aux enfants riches qui connaissent bien plus leur gouvernante que leur mère. À la moindre alarme ils savent bien : c’est le « tablier bleu » qu’ils cherchent, qu’ils attendent.

Certes, on ne doute pas que ces dames n’aiment leur troupeau : la directrice, notamment, se désole de son union stérile et elle adopte, du cœur, tous les bambins gentillets. Mais le dévouement du personnel enseignant n’amoindrit pas la femme de service : déchoir elle ne peut !

Je promenais mon plumeau sur les tables minuscules et mon ombre démesurée époussetait le mur, le tableau noir, les cartes d’histoire naturelle. « Ça y est ! » me dis-je, immobilisée tout à coup par l’évidence de mon souvenir, « en trois jours, les tout petits ont déjà pris possession de moi : ils m’appellent Rose, me tutoient, s’accrochent à ma robe. Que je veuille ou non, je sens bien que je ne m’appartiens plus : aujourd’hui, du matin au soir, j’ai manœuvré sans personnalité, captée, tirée, hypnotisée par eux. »