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me scrutaient : j’étais du nouveau pour eux. Je sentis leurs yeux clairs me toucher ; puis, on aurait dit que toutes les bouches baillaient à qui crierait le plus fort, en mon honneur ; puis les nez, les oreilles me sollicitèrent. Le mélange des cheveux de filles et des cheveux de garçons me frappa aussi. Je me rappelle encore deux croix, avec des rubans rouges sur des tabliers noirs et, au bout d’un banc, un garçon : grand front, nez ébréché, joues caves, bouche de travers : il semblait bramer vers moi un appel interminable.

Avant neuf heures, la directrice revint, suivie de la deuxième adjointe. Celle-ci était toute jeune, brune, grande, mince, bien habillée. Son visage faisait penser à une image de Diane par la régularité grecque des traits et par une certaine expression majestueuse donnée au front et à l’abaissement des paupières : « Mortels, ne me touchez pas ! » Mlle Bord avait le gouvernement des « grands ».

Il y eut une rapide inspection de propreté. Quelques enfants furent envoyés au lavabo. Mme Paulin s’élança du fond de sa cantine, fit semblant de m’aider à passer l’éponge sur un nez sale et, désignant de la tête la jeune adjointe, me confia, comme le renseignement le plus important du monde :

— C’est la normalienne.

Là-dessus, elle s’en retourna dans sa cuisine ; elle n’était venue que pour me souffler cette grave parole.