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de vous causer… Venez donc là, dans le coin.

Elle bombait ses épaules et avançait le menton comme Adam quand il va se battre ; son intonation copiait celle des provocations en usage dans le quartier : « Viens donc un peu, su’ l’boul’vard, si t’es pas un faignant ! »

Je la suivis, moitié de gré, moitié parce qu’elle me tenait au coude. Elle se mit à me parler dans la figure.

— Non, elle n’ira plus à vot’école ma fille… c’est pas la peine, pour apprendre qu’il faut rester dans la débine comme père et mère et se tenir bien tranquille, en crevant de faim tout comme eusses et surtout pas oublier de dire merci… Mais c’est pas vrai, vos histoires ! il ne suffit pas d’être poli… Et qu’est-ce que t’avais l’air de rigoler en me regardant, avec ton intérêt moral ? L’intérêt c’est de bouffer… J’y ai été à l’école, moi, est-ce que ça m’a empêchée de crever la misère ?… Ah ! oui, j’ai fait comme ma mère, pour sûr !… Et quand ma gosse me répétait vos boniments d’école, je croyais entendre mes premiers patrons : de l’ordre, de la propreté, du respect, de l’obéissance, de la politesse… Oui ! et des dix-huit heures de travail et mal nourrie, et pas de pitié, pas de bon Dieu, jusqu’à ce qu’on vous flanque dans le ruisseau… Et v’là que c’est toujours les mêmes boniments que de mon temps ! mais je veux autre chose !… Dis donc, la Maternelle, est-ce que tu crois que c’est toujours les mêmes qui la danseront !… Dis donc, chienne de garde, chienne d’administration, me v’là, moi, devant ta baraque en pierres de