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la maternelle

Il prononça aussitôt d’un ton d’attention grave et dégagé : « Toc, toc, toc, toc ! » puis, levant le nez, avec un sourire malin, supérieur :

— C’est pas une montre que tu me mets là, c’est une auto.

Ah ! cette assurance ! cette puissance riante et indulgente ! Avait-il trois ans ? Je n’attendais de ce tout petit qu’un gazouillis dénué de sens… Alors, brusquement, ce fut l’entrée de l’enfance dans mon cerveau ; ce fut net, entier, définitif comme une révélation. Jusqu’à présent je n’avais guère perçu de rapport vital entre moi et les enfants ; je ne spécialisais pas de sentiments à leur égard.

L’éclair de ma pensée pénétra l’immensité inconnue : ce petit être ne sait rien, vous y touchez, il en sort les plus notables réflexions. La clarté de son visage est faite de myriades d’expressions, comme une nappe d’eau est faite de myriades de molécules et cette transparence enfantine, pareille à celle de la mer, du ciel, est riche de tous les reflets créés depuis l’origine du monde et perdus par nous, grandes personnes : ce qui naît étant supérieur en passé et en avenir à ce qui a déjà vécu.

Je suis sûre que ma physionomie fut changée pour toujours et je continuai à manipuler les élèves arrivants avec l’aise forcée d’une personne qui a subi une atteinte subjuguante.

Quelques-uns devisaient tout seuls pendant que je les déshabillais.

Un autre choc : j’admirai subitement ce verbiage spécial caractérisé par la suppression du ne avec pas